Médias sénégalais : Un service public au service de la médiocrité ?
Médias sénégalais : Un service public au service de la médiocrité ?
Les médias ont pour mission d’informer, d’éduquer et de nourrir la réflexion citoyenne. Dans un pays en pleine mutation comme le Sénégal, leur rôle est d’autant plus crucial qu’ils devraient accompagner les transformations démocratiques, économiques et sociales. Pourtant, au lieu d’élever le débat, ils semblent s’enfoncer dans une logique de médiocrité assumée, privilégiant le sensationnalisme au détriment de la rigueur et de la pertinence.
Une mission détournée au profit du spectacle
Plutôt que d’être un contre-pouvoir, un espace de questionnement et d’analyse, le paysage médiatique sénégalais s’est transformé en une arène où le bruit l’emporte sur la réflexion. La quête d’audience et de visibilité prime désormais sur la qualité de l’information, poussant les chaînes de télévision et les médias en ligne à privilégier les polémiques stériles et les confrontations spectaculaires.
Ce phénomène se manifeste notamment par l’invitation récurrente d’individus sans expertise, sélectionnés non pour leur capacité à éclairer un sujet, mais pour leur aptitude à générer du buzz. Loin d’élever le niveau du débat, ces pratiques renforcent un nivellement par le bas, où les analyses solides et argumentées cèdent la place aux déclarations tapageuses et aux échanges stériles.
La mise en scène de la médiocrité
L’un des aspects les plus inquiétants de cette dérive est la valorisation de profils dont la seule “qualité” est d’attirer l’attention. Dans cette logique, l’apparence et l’excentricité deviennent des critères de sélection plus déterminants que la compétence ou la profondeur d’analyse.
Ainsi, certains médias recrutent des intervenants sans formation ni expertise, préférant des personnages capables de faire le show. Ce phénomène est amplifié par les réseaux sociaux, où les algorithmes favorisent les contenus sensationnalistes, renforçant ainsi la légitimité de ceux qui excellent dans la provocation plutôt que dans l’analyse.
Le cas de Kounkandé illustre bien cette tendance. Ancien agent de sécurité connu sous le nom de “Am Sécurité” dans les rues de Colobane, il est aujourd’hui présenté comme une figure médiatique mystique, sans que personne ne questionne sérieusement la construction de son image. Ce type de parcours symptomatique témoigne d’une société où la valeur médiatique d’un individu ne repose plus sur son savoir ou ses compétences, mais sur sa capacité à capter l’attention, quitte à sombrer dans l’absurde.
Une responsabilité partagée
Si les médias ont une grande part de responsabilité dans cette dérive, le public n’en est pas moins complice. Tant que les téléspectateurs continueront de plébisciter ces contenus creux et spectaculaires, les chaînes n’auront aucun intérêt à changer leur approche. L’éducation aux médias devient donc un enjeu majeur : il est essentiel de développer un esprit critique permettant de distinguer l’information du divertissement et de privilégier les contenus porteurs de sens.
Par ailleurs, les autorités de régulation doivent jouer leur rôle. L’octroi de licences ne devrait pas être une simple formalité, mais un engagement envers la production de programmes informatifs et éducatifs. Des mécanismes de contrôle et de sanction doivent être mis en place pour limiter les abus et encourager des pratiques journalistiques plus responsables.
Enfin, il est impératif de soutenir les initiatives qui tentent d’élever le débat. Certains journalistes et plateformes indépendantes s’efforcent encore de proposer un regard critique et structuré, mais ils sont souvent marginalisés. Il appartient aux citoyens de leur offrir la visibilité qu’ils méritent en privilégiant ces espaces de réflexion plutôt que le vacarme du buzz.
Un tournant décisif
L’avenir du débat public au Sénégal repose sur un choix collectif : continuer à alimenter une spirale de médiocrité ou exiger des médias qu’ils remplissent pleinement leur mission d’information et d’éducation. Une société qui valorise l’ignorance se condamne à l’échec. Il est encore temps d’inverser la tendance en réhabilitant la réflexion et en faisant des médias un véritable levier de progrès plutôt qu’un outil de divertissement creux.
PMD