Lettre ouverte à Mme Aïssata Tall Sall Vous m’avez demandé de vous rappeler à l’ordre. Il n’est pas trop tard pour le faire.

Vous m’avez demandé de vous rappeler à l’ordre. Il n’est pas trop tard pour le faire.
Madame Aïssata Tall Sall,
Il est des silences qui deviennent complices. Et vos récentes déclarations selon lesquelles « la République est en danger » ne pouvaient rester sans réponse. Car lorsqu’une personne qui a contribué à fragiliser nos institutions s’érige en défenseure de la démocratie, il devient impératif de remettre les faits au centre du débat.
En 2017, à la veille des élections législatives, l’un de vos collaborateurs m’a approché. Il m’avait repéré dans la dynamique de Manko Wattu Sénégal, héritière de Gor Ca Wax Ja, coalition née pour s’opposer au référendum de Macky Sall. Ce référendum qui, faut-il le rappeler, a permis au président d’alors de prolonger son mandat, en piétinant sa propre parole.
Nous nous sommes rencontrés ce soir-là, vers 20h, à Sacré Cœur, entre les deux BEM. Vous m’avez parlé de votre ambition, de votre vision, de vos principes. Et vous m’avez dit, avec sérieux :
« Si par extraordinaire je devais changer de camp, je compte sur vous pour me rappeler les principes qui sont les nôtres. »
Eh bien, nous y voilà. Et puisque vous m’y avez autorisé, je vous le rappelle. Car depuis, vous avez tourné le dos à ces principes.
Votre fameuse « troisième voie », que vous présentiez comme une alternative, n’était qu’un habillage. Un raccourci vers le pouvoir. Vous avez fini par rejoindre Macky Sall, sans hésitation. Et depuis, vous avez accompagné tous les renoncements.
Vous avez soutenu un régime qui a muselé l’opposition, instrumentalisé la justice, et emprisonné ses adversaires politiques. Vous avez cautionné la prorogation du mandat présidentiel, une décision arbitraire qui a semé le chaos, provoqué des manifestations, causé des morts.
Et pour parachever l’injustice, vous avez soutenu une loi d’amnistie qui a effacé, d’un trait, les crimes, les douleurs, les attentes de justice. L’Assemblée nationale est devenue un simple prolongement de l’exécutif. Et vous, une voix précieuse pour justifier l’injustifiable.
Et aujourd’hui, vous osez parler de République ? Vous dénoncez des dérives que vous avez vous-même permises ? Vous annoncez un boycott comme si vous étiez une résistante dans un système que vous avez contribué à construire ?
Où étiez-vous, Madame, lorsque le président de l’Assemblée nationale a été installé de force par les gendarmes ?
Où étiez-vous lorsque des députés ont été empêchés par les forces de l’ordre d’exercer leur droit de vote ?
Où étiez-vous lorsque Aminata Touré a été injustement privée de son mandat ?
Où étiez-vous lorsque le règlement intérieur a été falsifié en toute impunité ?
La liste est longue, très longue. Et pourtant, vous étiez là. Présente. Silencieuse. Complice.
Vous parlez de République, mais vous avez accepté que des citoyens soient envoyés en prison puis libérés selon le bon vouloir du chef. Vous avez vu la justice se transformer en outil politique, et vous avez regardé ailleurs.
Non, Madame. Le peuple n’est pas dupe. Il vous a vue faire. Il vous a entendue vous taire. Il a vu que vous avez préféré la sécurité d’un poste à la défense de vos convictions. L’opportunisme à l’engagement. Le calcul politique à l’intégrité.
L’Aïssata Tall Sall que j’ai admirée autrefois, cette avocate combative, celle qui défendait les libertés, aurait exigé la vérité, la justice, la reddition des comptes. Elle aurait combattu la loi d’amnistie. Elle aurait placé la République au-dessus de ses intérêts. Mais cette femme-là semble avoir été absorbée par la politicienne stratège, qui pense que le peuple oublie.
Alors oui, vous m’avez demandé de vous rappeler à l’ordre. Ce n’est pas trop tard. Je le fais aujourd’hui. Non par rancune, mais par fidélité aux valeurs que vous avez, un jour, revendiquées.
Parce qu’on ne trahit pas impunément les principes que l’on prétend incarner.
Indigné un jour, indigné toujours.
PMD