Le commissaire Boubacar Sadio écrit au président Diomaye
A SON EXCELLENCE, BASSIROU DIOMAYE DIAKHAR FAYE, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE.
« Le sacrifice on le fait ou on le fuit; une centaine de jeunes sénégalais ont consenti le sacrifice suprême. Puisse leur mort, toujours, peser sur nos consciences,souvent, amnésiques. »
Excellence, vous venez de boucler vos premiers cents jours à la tête du pays. A cet effet, vous vous êtes soumis à un exercice tout aussi salutaire que salué par tous vos compatriotes animés de bonne foiqui y voient un véritable signe de rupture.En organisant une conférence ouverte à la presse nationale et transmise en direct, vous avez accepté, faisant ainsi montre d’un grand courage intellectuel, d’affronter les feux roulants de questions de journalistes réputés pour leur professionnalisme, leur pertinence et leur sagacité. L’exercice globalement réussi et positif aura été une occasion de clarifications, d’explications, de réorientations, de réajustements et surtoutde maintien de la flamme de l’espoir.
Excellence, il est bon de rappeler que la communication de manière régulière et permanente avec les populations doit êtreérigée en élément paradigmatique de gouvernance. Votre brillante sortie que certains esprits malveillants, aigris et dépités cherchent à minimiser et à dévaloriser, a, à plusieurs égards, rassuré vos compatriotes sur vos compétences,votre maitrise des dossiers, votre aptitude à gouverner et à trouver des solutions conjoncturelles à court terme et structurelles à long terme pour répondre aux attentes et aux besoins des populations. Les Sénégalais, se référant aux déclarations funestes et de très mauvais augure de vos contempteurs, se posaient la question de savoir comment des apprentis, des novices pourraient s’en sortir par rapport à l’immensité de la tâche, avec une situation où tout est urgence. Vos explications claires, nettes et précises nous ont fait découvrir la compétence de vos ministres et l’ingéniosité de votre gouvernement.
Excellence, c’est ainsi que vous avez pu procéder à des diminutions sur le prix de certaines denrées de première nécessité et de grande consommation telles que le riz, le sucre, l’huile etc…La tabaski a pu êtrecélébrée par les musulmans dans de très bonnes conditions avec un marché suffisamment fourni en ovins et en denrées alimentaires dans des proportions de prix raisonnables. Le casse-tête du transport, occasion souvent mise à profit par destransporteurs véreux pour faire de la surenchère sur les tarifs, a pu être contenu et éliminé par l’implication de l’État qui a, admirablement, joué son rôle de régulateursocial et de protecteur des citoyens devantcertaines pratiques dolosives qui leur sont préjudiciables.
Dans le domaine agricole que semble avoirété érigé en priorité, des mesures salutaires ont été mises en œuvre; c’est ainsi qu’il a été procédé à une diminution des prix de l’engrais et des semences; à la gratuité du phosphate, à l’épuration des dettes etsurtout à la mise en place de nouveaux schémas d’approvisionnements et de distribution avec l’implication de l’armée nationale. L’annonce de la renégociation des contrats miniers et pétroliers qui nécessitera un audit tant sur les conditions d’octroi des autorisations que sur les couts, est un véritable soulagement. Ces réalisations effectuées en si peu de temps augurent de perspectives prometteuses et bénéfiques pour les populations.
Excellence, toutefois, permettez à ma très modeste et humble personne de vous seriner une rhétorique que je considère, toute modestie mise à part, comme le meilleur viatique pour la réussite de votre magistère. Considérez mes propos comme la voix de la sagesse qui vous guidera sur la voie la sagesse. Vous savez, une fois au pouvoir, avec tous ces opportunistes, courtisans, sycophantes et autres écornifleurs qui vous cernent, une sortie de piste est vite réalisée sans que l’on s’en rende compte. N’oubliez jamais, ne perdez jamais de vue et ayez toujours à l’esprit les trois facteurs déterminants qui vous ont conduit au pouvoir.
En premier lieu, la volonté divine. C’est parce qu’Allah Le Tout-Puissant, Maitre de l’univers et de nos fragiles destinsd’êtres ignorants et impuissants, l’a décidéque vous êtes devenu le cinquième Président de la république du Sénégal.
Excellence, ensuite, vous devez votre élection à vos très chers parents dont les prières sincères, exprimées du fond du cœur, ont été exaucées par le Bon Dieu, Tout-Puissant. Votre élection a une valeur pédagogique et spirituelle qui a dessillé les yeux de beaucoup de vos compatriotes. En effet, pendant que votre principal challenger parcourait tout le pays et se faisait recevoir dans les principaux foyers religieux, confortablement assis dans des fauteuils moelleux, sollicitant leurs prières, vous avez choisi de vous rendre humblement chez vos deux parents pour leur tendre vos mains frêles et solliciter leurs prières, en ayant à l’esprit et en mémoire la parole divine qui exhorte les croyants à honorer leurs ascendants en toutes circonstances. Certains des chefs religieux visités par votre challenger, grisés par la consistance et la lourdeur des mallettes reçues au préalable, ont eu la témérité d’annoncer sa victoire. Au finish, vous avez été élu, démontrant que les bénédictions des parents sont de loinmeilleures, plus sures, plus utiles, plus bénéfiques; plus profitables et plus efficaces que les psalmodies de nosenturbannés. Une certaine forme d’allégeance à ces chefs religieux dont la majorité n’a jamais voulu votre accession au pouvoir, ne se justifie ni ne s’explique, la République doit rester debout; et le peuple y veillera.
Excellence, vous devez, enfin, votre élection à la volonté manifeste et à la détermination inébranlable des Sénégalais à vouloir se débarrasser du régime sanguinaire de Macky Sall. Un régime qui s’est caractérisé et illustré par une oppression et une répression sauvage et meurtrière. En plus d’être ploutocrate, autocrate et dictatorial, le régime de Macky Sall qui s’est toujours comporté en chef de gang, s’est distingué par la cupidité effrénée et l’avidité insatiable de ses dirigeants et autres responsables politiques. Une véritable horde de malfratsqui ont eu pour activités principales le siphonage outrancier de nos ressources budgétaires et le bradage éhonté de nos ressources naturelles. S’y ajoute une indécente boulimie foncière dont ont été victimes des centaines de familles sénégalaises, notamment, dans le monde rural. La prédation de nos terres tant en milieu urbain qu’en zone rurale a littéralement transformé courtiers, promoteurs et fonctionnaires véreux en une faune de psammivores impavides.
Ainsi, le 24 mars 2024, les Sénégalais d’ici et de la diaspora, voulant coute que coute acter la rupture et le rejet de l’ancien régime, se sont mobilisés tous sexes, âgeset conditions sociales confondus, dès les premières lueurs de l’aube, pour accomplir leur devoir civique et citoyen. Pour vous rappeler que vous devez votre installation à la Présidence de la république à cesmilliers de vos compatriotes qui vous ont investi de leur confiance en vous accordant leurs suffrages
Excellence, se serait nier la vérité historique en évoquant la seule déferlante qui s’est manifestée dans les urnes en ce jour mémorable du24 mars 2024. Il y a, malheureusement, une phase triste, douloureuse et funeste qui a précédé et qui a marqué au fer rouge la vie de milliers de vos compatriotes. De 2021 à 2023 le Sénégal a connu un des pires moments de son histoire avec des manifestations publiques très violemment réprimées par le régime de Macky Sall. La plupart de ces manifestations résultaient du refus systématique des autorités administratives d’autoriser les citoyens d’exercer des droits qui leur sont reconnus par la Constitution de la république.
Les premières violences ont résulté de l’attitude provocatrice de l’ancien préfet de Dakar nommé gouverneur de la région de Saint-Louis pour services rendus. Ce préfet d’un zèle débordant et effréné, avec l’appui des forces de l’ordre, s’est toujours opposé de manière systématique aux itinéraires choisis par Ousmane Sonko pour se rendre au palais de justice. Les premiers morts ont été enregistrés lors des affrontements. Au jourd’hui ce préfet,devenu gouverneur, est le représentant du Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye à Saint-Louis et c’est à ce titre qu’il l’a accueilli. Ils doivent être nombreux parmi les nombreuses victimes de la répression à se poser des questions sur la tournure des événements.
Excellence, justement j’ai reçu par voie onirique un message d’outre-tombe à vous transmettre et libellé comme suit;
« Monsieur le Président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, nous, martyrs du projet; vous adressons, tout d’abord nos très vives et patriotiques félicitations pour votre brillante et historique élection à la tête de notre très cher et beau pays. Nous sommes des compatriotes, pour la plupart des jeunes, tués par la soldatesque de Macky Sall et les nervis de la coalition présidentielle dans les différentes contrées du Sénégal.
Aujourd’hui, nos corps toujours intacts par un miracle divin, sont étreints dans l’étroitesse et l’obscurité abyssale de nos tombes à travers les différents cimetières du pays. Nos âmes libres de tout mouvement se sont retrouvées pour vous exprimer notre grande satisfaction de constater que nos sacrifices n’ont pas été vains. Nous saluons les mesures d’urgence que vous avez prises pour soulager les populations dans leur quotidien.
Seulement, en vous demandant d’avance de tolérer notre impertinence, nous tenons à vous dire, avec la plus forte des convictions, que nous avons fait don de nos vies, non pas pour quelques morceaux de sucre supplémentaires dans nos cafés « Touba », ni pour davantage de mayonnaise ou de « ndambé » dans nos tranches de pain encore moins pour quelque besoin d’ordre alimentaire. Aussi ne saurions-nous tolérer aucune incompréhension ni mauvaise interprétation du sens de nos sacrifices.
Certes, il serait très désobligeant voire irrespectueux de ne point reconnaitre la portée humanitaire et sociale de vos premières mesures. Seulement, nous tenons à affirmer et à marteler par nos voix d’outre-tombe, en espérant qu’elles trouveront un écho amplificateur dans les cieux, que nous avons consenti le sacrifice suprême et fait don de nos vies, alors que constitutions autant de bras valides pour la nation et d’espoirs pour nos familles respectives, pour des valeurs supérieures et pour des principes axiologiques d’une très grande noblessequi dépassent l’insignifiance de notre condition de simple mortel.
Nous nous sommes sacrifiés pour l’avènement d’une ère nouvelle, dans un pays reconcilié avec lui-même et qui aura retrouvé son unité, sa cohésion et sa souveraineté; un pays ou l’état de droit retrouvera tout son sens, ou la justice et le droit s’appuieront sur la vérité pour s’exprimer et traiter les citoyens en toute égalité et équité. Nous avons donné nos vies pour préserver d’autres vies de la cruauté, de la maltraitance, des traitements humiliants et dégradants comme s’y complaisait Macky Sall. Nous avons sacrifié nos vies pour que soit préservée celle d’un homme exceptionnelqui cristallisait l’espoir de tout un peuple, notamment, de sa tranche juvénile, étant convaincus que son accession au pouvoir serait salutaire pour les générations futures, dussions-nous ne pas en jouir dans l’immédiat. Nous exigeons que la vérité dans sa totalité soit dite et que la justice dans sa rigueur et grandeur soitrendue pour que nos âmes retrouvent la paix et que nos familles puissent faire le deuil définitif de notre voyage sans retour.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments les plus distingués. »
Excellence vous comprendrez facilement que je sois envahi par une émotion ineffable à la lecture de ce message d’outre-tombe de défunts qui ne sont plusde ce monde, mais dont les âmes scrutent nos moindre faits, gestes et actes.Aujourd’hui, les nouvelles autorités doivent prendre conscience d’un véritable sentiment de gêne qui habitent certains de leurs compatriotes par rapport à une forme de lenteur observée dans la reddition des comptes qui a été un thème catalyseur dans la campagne électorale. Personnellement, je considère la reddition des comptes comme la priorité des priorités. Cette reddition des comptes comporte deux niveaux; d’abord, la nécessité de situer les responsabilités par rapport aux nombreux cas de meurtres voire d’assassinats commis lors des manifestations; ensuite, par rapport aux multiples et innombrables cas de détournements de deniers publics dont le plus scandaleux, dépassant les frontières de l’immoralité, est la forfaiture du covid-19. Autant de crimes de sang et de crimes financiers auxquels les Sénégalais attendent des réponses nettes, claires et rapides qui ne laisseront place à aucuneforme de spéculation.
Excellence, l’ancien régime avait annoncé,par la voix de Sidiki Kaba, la mise en place d’une commission d’enquête pour situer les responsabilités, identifier les coupables et prendre les mesures nécessaires. Depuis, rien n’a été fait, confirmant la propension maladive des autorités de l’époque à toujours se mouvoir dans la duperie et la duplicité. Le Président Macky Sall, n’est-il pas le maitre accompli du « njucc-njacc »? Il y a aussi les nombreux cas de supplices, de tortures, de traitements inhumains et dégradants dont le plus illustratif est celui de l’étudiant Abdoulaye Touré, resté jusque-là impuni. Il appartient au gouvernement actuel de prendre toutes les dispositions et de mettre en place le dispositif d’enquêteidoine pour édifier les Sénégalais sur tout ce qui s’est réellement passé pendant cetépisode sombre, douloureux et meurtrier de l’histoire de leur pays.
Excellence, aux crimes de sang viennent s’ajouter les crimes économiques, notamment, les multiples cas de détournements de deniers publics dont les auteurs, bénéficiant d’une certainesollicitude de la part des autorités actuelles, se pavanent dans les rues de nos villes; certains profitant de cette période de grâce, ont pris la tangente, alors que d’autres ont trouvé le temps nécessaire pour évacuer leurs avoirs sous des cieux plus cléments, plus surs et hors de portée d’éventuelles saisies. Aujourd’hui, certaines personnes devraient être sous mandat de dépôt à Rebeuss. Il n’est que d’évoquer l’affaire des 94 milliards; un admirablement traité par l’OFNAC et déposé sur le bureau du Procureur de la république qui, depuis aurait dû saisir le juge d’instruction. Exciper du fait qu’il faille attendre l’application des réformes de la justice est un argument à la fois légeret inconsistant qui ne peut aucunement prospérer. Pourtant les tribunaux fonctionnent et la justice est rendue; ce qui est valable pour la plèbe ne l’est, peut-être, pas pour les criminels vip à col blanc. La justice ne doit être ni censitaire ni discriminatoire.
Excellence, les criminels ont leurs places en prison et, dans ce domaine, vous semblez velléitaire. Votre camarade de parti, député de son état Abass Fall, vous a transmis la demande forte des populations à voir les criminels en prison. Alors qu’il vous le demande « ci ndièk » en tant que militant discipliné, personnellement, je pense que vous êtes tenu de le faire, tout simplement, parce que c’est une obligation morale, une exigence sociale auxquelles vous ne pouvez-vous soustraire.
IL est vraiment temps de remuervigoureusement le cocotier pour matérialiser la rupture tant attenduepar les Sénégalais.
Dakar le 13 juillet 2024. Boubacar SADIO Commissaire divisionnaire de Police de cl exceptionnelle à la retraite.